Mardi 2 sept 2008

 

PHOTOS - Elle reproduit ses émotions sur ses clichés

Danièle Chikhani, au-delà des images

L'article de Colette KHALAF

 


 


Entre l’œil, l’objet et l’émotion s’établit une relation triangulaire où Danièle Chikhani, architecte photographe, évolue en toute aisance. De ses errances déambulatoires et de ses balades émotionnelles, l’artiste accroche et saisit ce qui l’entoure…pour le partager en toute générosité avec l’autre. Tous les autres. Son récent travail, exposé dans le cadre de la Foire de Faraya, en témoigne.

«L’architecture m’a appris à affûter mon regard. Non pas à regarder, répète-t-elle avec insistance, mais à voir, afin de me laisser imprégner par l’objet vu. Outre le visible, c’est l’invisible qui est en voie de devenir ce que j’aimerai capter. » C’est ainsi que Danièle Chikhani définit son parcours qui l’a amenée à travailler dans le domaine de l’architecture plus de vingt ans en France, puis à revenir vers la mère patrie se ressourcer d’images nouvelles. Dans les rues des villes qu’elle découvre, la photographe marche souvent le nez en l’air, essayant d’envelopper du regard l’atmosphère et de percevoir l’imperceptible. « En scrutant à travers un cadrage, je développe ma vision des choses puisque je repère l’objet et le sort de son contexte », dit-elle.

L’art de la photo s’est introduit très naturellement dans sa vie (trois ans après qu’elle ait commencé ses études d’architecture), jusqu’à l’habiter totalement. Durant des années, Chikhani prendra des clichés de sites et de lieux, pour son propre plaisir, jusqu’au jour où on lui avoue que ses photos sont passeuses d’émotions. Dès lors, l’architecte n’aura de cesse de traquer le furtif.

Du désert de Mauritanie où elle campe avec des amis et parcourt 250 km à pied, du haut de ces dunes, où elle s’amuse à titiller le vent et à filtrer la poussière, l’artiste donne vie à cette immensité de sable. Telle une femme aux courbes voluptueuses, le désert s’étalera sur ses photos invitant à la caresse. Son ciel bleu azur semble avoir été coloré par sa palette, couleur

lumière.


 

 


Désormais installée au Liban, Danièle Chikhani poursuit ses vagabondages en immergeant son regard. Au cours de ses navettes, la photographe fait la connaissance d’un groupe de mystiques vivant en communauté à Assise et qui pratiquent le rituel des derviches tourneurs. Cette pratique qu’exerçaient les Mevlevis, confrérie fondée par le grand poète Jalâl al-Din el Rûmi, ne tarde pas à la captiver. « Il est certaines rencontres dans la vie qui vous interpellent parce qu’elles vous semblent familières, comme si elles faisaient déjà partie de vous-mêmes », poursuit-elle. « Nous ne sommes pas des êtres neufs, ajoute Chikhani, mais des vies anciennes qui se sont baladées et qui ont recueilli en cours de route des impressions et des sensations multiples. Lorsqu’on est touché par quelque chose ou quelqu’un, on ne cherche pas à savoir pourquoi, on essaye d’aller à la rencontre de ce qui nous a touchés. »

 


 

 


L’œil qui traque

 

Durant des mois, Danièle Chikhani accompagnera le groupe dans ses tournées, saisissant ses moindres gestes. Derviches tournoyant dans une danse légère et évanescente, en position de prière collective et humble, levant gracieusement les mains vers le ciel ou foulant à peine le sol : autant de photos qui illustrent des valeurs pures, la dévotion et l’abandon de l’ego.

Son travail l’aide à rectifier certaines erreurs communément faites. « Le derviche tourneur, souligne-t-elle, ne fait pas du spectacle. Ses postures de prière, la mention du “zikr” et tous les autres éléments qui se rattachent, tant à son allure vestimentaire (robe blanche, manteau noir et “sikké”) et physique qu’à sa musique ou le choix des instruments, doivent être respectés. »

Fruits d’une rencontre, ces photos illustrent également la croisée de deux chemins. Prendre les derviches tourneurs en photo avec humilité et sincérité venait de concrétiser ce que Danièle Chikhani avait appris en théorie.

Ses œuvres épurées, dotées d’un sens aigu de l’« architectural », en tant que lignes et formes, portent le regard au-delà du visible, dans un monde où l’art s’est taillé une place particulière, loin de tout maniérisme, et si proche du divin.

 

Colette KHALAF